Betty Cohen, trad. a.
Ce jeu de mots s’impose à la lecture du dossier que Circuit vous propose dans ce numéro, tant il est vrai que notre marché a changé. Le temps où nous nous posions la question de savoir si la traduction était un art ou un métier est bel et bien révolu. Mesdames et Messieurs, la traduction est aujourd’hui un processus technologique !
Ce processus technologique se résume, de façon très caricaturale bien sûr, à ceci : on constitue un bon corpus bilingue au départ, on le passe à la machine, on le fait compléter ou postéditer ensuite par un traducteur ou un postéditeur et le tour est joué ! Beau, bon, pas cher !
Sauf que la qualité de ce qui sort d’une machine n’est jamais qu’un reflet de la qualité de ce qui y entre et, jusqu’à nouvel ordre, tout ce que l’on
a pu faire entrer dans un outil de traduction n’est jamais que le produit d’un cerveau de traducteur… ou de traductrice comme nous le rappellent Louise Brunette et Geneviève Patenaude, qui reconnaissent dans leur article la prépondérance de la gent féminine dans notre profession.
Sauf que tout ceci marche s’il est possible de retrouver, dans le corpus, suffisamment d’éléments – ou de segments – utilisables. Autrement, il faut refaire appel à la matière grise humaine.
Sauf que cette matière grise, si elle n’est formée qu’à remplir des trous et faire des petits morceaux, risque de ne pas être en mesure de produire la qualité nécessaire pour constituer le corpus bilingue de départ.
À la longue, il en résultera une langue appauvrie et des textes conçus sans suite logique, ni cohérence. Et au lieu de citer d’abord et avant tout la « transparence » comme critère de qualité d’une traduction – c’est-à-dire le fait qu’elle puisse être lue par un natif de la langue d’arrivée sans que celui-ci s’aperçoive qu’il lit une traduction – nous avancerons la « satisfaction du client » qui aura payé moins cher… ce pour quoi il aura payé.
Doit-on, par conséquent, former nos étudiants à traduire, ou à servir de béquille à la machine ? L’incongruité de cette question en amène une autre : ne sommes-nous pas en train de nous rendre esclaves de la machine, alors que ce devrait être tout le contraire ?