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Sous-traitance et confidentialité

Quand un client souhaite confier la traduction de ses documents à un prestataire externe, deux questions reviennent toujours : Comment garantissez-vous la fidélité des traductions? Comment garantissez-vous la confidentialité du contenu? Ces inquiétudes sont légitimes étant donné l’évolution récente de l’organisation de la traduction.

Par Dominique Trouche

Au début des années 2000, le modèle typique était une société de traduction employant une armée de traducteurs avec un réseau et des serveurs centralisés. Pour des raisons de flexibilité et de productivité, les entreprises ont plus tard opté pour l’externalisation. La grande majorité des traducteurs sont devenus pigistes et nombre d’entre eux se sont regroupés en réseaux formels ou informels pour répondre à la demande grandissante et partager les efforts commerciaux.

Toutefois, les grands clients signent en général avec de gros prestataires multilingues (MLV pour Multi Language vendors) qui localisent tout type de contenu dans toutes les langues. Ces MLV sous-traitent la traduction mais comme le plus souvent ils ne souhaitent pas travailler directement avec les indépendants, ils s’adressent à des sociétés de petite taille travaillant vers une seule langue (SLV pour Single Language Vendor) ou dans un domaine spécifique. Ces SLV confient la traduction à différents pigistes avec qui ils ont des accords… et ces pigistes évoluant au sein de réseaux informels se répartissent ces traductions en tout ou en partie. Comme cette longue chaîne est sous très forte pression financière, le traducteur pigiste ayant été contraint à des tarifs bas utilisera peut-être les solutions technologiques le plus facilement à sa portée, à savoir les serveurs de traduction automatique des leaders du secteur, et divulguera ainsi le contenu des textes sans en être toujours conscient.

Cette sous-traitance en cascade assure généralement la qualité des traductions puisque c’est finalement une personne expérimentée qui traduit et parce que la sous-traitance inclut d’habitude un contrôle. Si la qualité est ainsi potentiellement améliorée, il en va tout autrement de la confidentialité : la multiplication des intervenants à l’insu du propriétaire du contenu multiplie les risques de rupture de cette confidentialité.

Existe-t-il des degrés de confidentialité?

Beaucoup de clients considèrent tous leurs documents confidentiels par défaut. Cette posture est légitime, mais on peut se demander s’il n’y aurait pas lieu de hiérarchiser la confidentialité des documents : par exemple, la documentation technique de la dernière évolution de PC portable de tel ou tel fournisseur qui sera mise sur le marché dans un mois est-elle aussi confidentielle que les caractéristiques du système de commande d’un nouveau missile? Par ailleurs, la confidentialité de certains documents varie dans le temps et diminue à mesure qu’on s’approche de la publication, notamment à l’étape de la traduction, qui intervient d’habitude en fin de processus. Ainsi, les éditeurs de jeux vidéo, très soucieux de confidentialité pendant les phases de conception de leurs produits, organisent parfois des fuites à l’approche du lancement pour créer la rumeur et mousser les premières ventes.

Quoi qu’il en soit, la solution adoptée en ce moment par tous les acteurs de l’industrie de la localisation ou de la traduction est la mise en œuvre d’accords de confidentialité en cascade, soit à chaque étape de sous-traitance. L’argument avancé est que toute entreprise ou personne qui ne respecterait pas la confidentialité des documents perdrait la confiance des donneurs d’ordres et donc son activité. Au-delà de ces accords, les systèmes d’information sont sécurisés par des coupe-feu classiques et des mots de passe ainsi que par des transmissions sécurisées.

Est-ce suffisant? Pour la plus grande partie des contenus réputés confidentiels et pour la majorité des langues, très certainement, quoiqu’on peut se demander comment on pourra détecter les entreprises délinquantes et faire appliquer les sanctions prévues dans les accords de confidentialité dans des pays distants, le cas échéant.

Les documents très confidentiels

Parmi les documents les plus confidentiels, on compte l’information classée secrète par la Défense nationale, les appels d’offres et les communiqués de presse.

Afin de répondre aux critères de confidentialité, il est important d’adopter des méthodes de travail saines et éprouvées pour garantir le respect des contrats signés et des accords conclus. Les trois méthodes suivantes constituent un début de réflexion sur ce que les langagiers peuvent effectuer pour satisfaire aux exigences de leur clientèle.

S’appuyer sur des traducteurs officiellement habilités

C’est la méthode retenue par la majorité des pays pour l’information classée secrète : les traducteurs sont en général nés dans le pays et y vivent toujours, puisqu’il est reconnu que seuls des traducteurs traduisant vers leur langue maternelle et habitant le pays cible peuvent produire des traductions de haute qualité. Par ailleurs, l’obtention de l’habilitation étant un processus complexe, les traducteurs qualifiés sont souvent très peu nombreux, en particulier pour les langues non usuelles.

Faire travailler les traducteurs en ligne

De plus en plus de serveurs de traduction permettent de faire travailler les traducteurs en ligne sans qu’ils puissent accéder à l’ensemble du contenu ou de rendre le contenu très difficile à recomposer. L’inconvénient de cette méthode est que la qualité de la traduction dépend d’une bonne connaissance du contexte de la part du traducteur. Or, fournir le contexte revient en partie à annuler la difficulté à recomposer le contenu.

Exercer une gestion fine du contenu confidentiel

Ici, les gestionnaires de contenu repèrent les éléments confidentiels dans le document. Il peut s’agir d’une caractéristique technique, d’une valeur numérique, du nom d’un produit ou d’une société ou encore d’une marque. Ces données sont effacées ou remplacées par des éléments neutres (par exemple, ACME pour une société et 0 pour toutes les valeurs numériques) avant l’envoi aux traducteurs. On obtient ainsi un niveau de confidentialité acceptable et une qualité élevée puisque le traducteur a accès au contexte. Si c’est nécessaire, les données sensibles retranchées peuvent être traduites par des experts très contrôlés et réintroduites dans le document définitif.

L’inconvénient de cette façon de procéder est qu’elle peut prendre beaucoup de temps et qu’il y a possibilité d’erreurs si le travail est fait manuellement. Toutefois, il existe aujourd’hui des solutions de documentation structurées où ces mécanismes sont automatisés.

Bien entendu, il en va autrement pour les données personnelles, car elles sont extrêmement sensibles. Dans ce cas particulier, elles ne sont en principe jamais traduites.

Dominique Trouche est le PDG de WhP, société spécialisée dans la localisation de logiciels, de documentation technique complexe et de cours en ligne. Depuis la filiale montréalaise de l’entreprise, il travaille à faire rimer localisation et innovation.


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