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Modes de traduction et d’adaptation dans le théâtre jeunesse au Québec

Si l’on peignait un paysage du théâtre jeunesse, on obtiendrait un tableau pointilliste constitué d’une myriade de couleurs, de textures et de mouvements. Comment se décline la traduction du théâtre jeunesse dans le microcosme québécois? À quels modes d’adaptations recourt-elle? Vue d’ensemble d’une pratique culturelle qui présente son lot de singularités.

Par Caroline Coicou Mangerel

Le théâtre destiné aux jeunes publics est un art protéiforme. On peut considérer que les arts de la scène dans toute leur diversité – arts du cirque, danse, mime, marionnettes, arts visuels et d’autres encore – s’amalgament plus ou moins harmonieusement dans les productions scéniques pour la jeunesse. 

Par ailleurs, la forme des productions, de leur conception à leur performance, varie considérablement selon la tranche d’âge à laquelle elles s’adressent. Ainsi, tout un pan du théâtre jeunesse est destiné au public adolescent et ne convient pas aux plus jeunes. En ce qui concerne les spectacles pour l’enfance, ils sont catégorisés de manière fine, et l’écriture scénique n’est pas la même pour le premier ou le deuxième cycle du primaire, pour les 3 à 6 ans et pour les 7 à 10 ans. De nombreux spectacles destinés à la petite enfance sont sans paroles. Les compagnies spécialisées en la matière développent leurs processus créatifs de plusieurs façons, notamment au moyen de groupes témoins et avec la collaboration de pédopsychiatres1. Les principaux diffuseurs de théâtre jeunesse, la Maison Théâtre à Montréal et le Théâtre jeunesse Les Gros Becs à Québec, appuient le processus de création, notamment en offrant des bourses, des résidences et des parrainages à des projets choisis.

Les collaborations entre pays ne sont pas rares, tout comme celles entre provinces. Lors de la saison 2023-2024, on a pu voir au Québec, en Ontario et en Colombie-Britannique le théâtre d’objets Clémentine, une coproduction de la Kleine Compagnie (Vancouver) et du Théâtre de la Pire Espèce (Montréal) en français. 

Traduction et pratiques plurilingues

Le théâtre pour la jeunesse, au Québec, s’écrit et se joue surtout en français. Plusieurs compagnies anglophones proposent cependant des spectacles en anglais, mais il y a somme toute peu de traduction entre les deux solitudes. Exceptions notables, deux compagnies montréalaises, soit Youtheatre, qui se décrit comme la « seule compagnie bilingue au Canada2 » et produit des spectacles en versions française et anglaise joués un peu partout au Canada, ainsi que Surreal soReal Theatre (SSRT), qui a pour objectif de faire « le pont entre les communautés francophones et anglophones du Canada3 ».

Le surtitrage est beaucoup utilisé lors de festivals (notamment le Festival TransAmériques, qui se tient annuellement à Montréal depuis 2007) dans le théâtre pour adultes afin d’augmenter la portée linguistique des spectacles et de permettre la diffusion de pièces venues d’autres pays. On s’en sert aussi dans le théâtre pour adolescents, par exemple dans le cadre du Festival des Casteliers, qui a également lieu chaque année à Montréal, où des spectacles de marionnettes (comme Lunch avec Sonia, de la compagnie new-yorkaise Loco7 Dance Puppet) sont présentés en langues étrangères avec des surtitres généralement en français. L’utilité du surtitrage demeure toutefois limitée dans le théâtre pour l’enfance pour une bien simple raison : la fluidité restreinte d’un public scolaire (et a fortiori préscolaire) quant à la lecture rapide. On retrouve plutôt pour ces groupes d’âge (moins de douze ans) des spectacles bilingues (Variety Box de Corrugated Spectacles) ou présentés alternativement en français et en anglais. SSRT présente ainsi The King Stinks en anglais dans certains festivals et sa version française, Les effluves du pouvoir, traduite par Marianne Dansereau, dans le cadre d’autres événements.

En dehors des festivals, on notera la particularité de la compagnie montréalaise Ondinnok, dirigée par Dave Jenniss, qui présente en tournée au Québec et ailleurs au Canada des spectacles en français avec un apport significatif en langue wolastoqey, et parfois d’autres langues autochtones, comme l’anishinaabemowin et le nahuatl. Sans être exactement bilingues, ils comportent des expressions et des termes intégrés à même le texte et sont accompagnés d’un programme entièrement bilingue. De plus, Ondinnok s’est donné pour mission de sensibiliser les institutions qui les accueillent en produisant un guide soulignant « certains enjeux spécifiques à l’accueil d’un spectacle autochtone4 ».

Qu’il s’agisse de pièces étrangères ou anglo-canadiennes traduites en français ou de créations conçues en parallèle ou intrinsèquement bilingues, les personnes qui les traduisent sont le plus généralement des dramaturges – Marilyn Perreault, Emma Haché, Olivier Sylvestre – ou des auteurs et autrices ayant une certaine expérience de la traduction littéraire, comme Fanny Britt ou Pénélope Bourque. 

L’adaptation, un sport périlleux

Il arrive souvent qu’une œuvre passe par plusieurs modes d’adaptation avant d’être enfin présentée, et dans le théâtre jeunesse, le public cible ajoute une couche de difficulté à l’opération. Ainsi, Prince Panthère, spectacle présenté récemment à un public pré-adolescent à la Maison Théâtre, est adapté « librement » par Érika Tremblay-Roy à partir du roman graphique Panthère, de Brecht Evens, lui-même traduit du néerlandais. En plus de la différence de départ entre les genres littéraires, l’ouvrage original, qui aborde des sujets extrêmement adultes, n’est nullement destiné à un jeune public, ce qui en a rendu l’adaptation d’autant plus acrobatique. 

Dans un style moins périlleux, la troupe montréalaise Tout à Trac mettait en scène en 2023 ses créations Alice au pays des merveilles et Alice de l’autre côté, des pièces basées sur les écrits et les personnages bien connus de Lewis Carroll. L’adaptation de ces œuvres, maintes fois portées à l’écran et sur les planches pour toutes sortes de publics, comporte des dangers d’une autre nature, qui forcent l’équipe d’idéation à porter une attention aiguë à l’originalité de l’exécution sous peine de blaser son public en rabâchant une histoire archiconnue. En l’occurrence, le traitement de l’histoire amenait le spectacle dans une tout autre direction, et il s’est d’ailleurs mérité le prix de l’Association québécoise des critiques de théâtre pour le meilleur spectacle jeune public.

Promouvoir l’accessibilité du théâtre jeunes publics

On note l’emploi croissant, dans le théâtre jeunesse, de dispositifs pour élargir l’accessibilité du spectacle. L’offre de séances adaptées est chaque année plus diversifiée. L’un des services les plus répandus aujourd’hui est la théâtrodescription, une forme d’audiodescription conçue spécialement pour le théâtre et qui permet, au moyen d’un casque d’écoute et d’une application sur le téléphone intelligent, d’obtenir une description en direct de la performance réalisée par un comédien ou une comédienne5. Certaines salles proposent aussi, plus rarement, l’interprétation en langue des signes pour une ou plusieurs représentations d’un spectacle. Geordie Theatre, autre compagnie montréalaise, proposait ainsi une représentation de son spectacle Other Worlds, à la Maison Théâtre, en langue des signes américaine (ASL).

Un nombre croissant de salles, comme la Maison Théâtre et le Théâtre de l’Illusion à Montréal, proposent des représentations sensoriellement adaptées (RSA), notamment pour les jeunes vivant avec un trouble du spectre de l’autisme (TSA). Certaines compagnies réalisent même des adaptations spéciales d’une création, comme Motus, troupe basée à Longueuil, qui destine son spectacle Arbre, tout un monde (adapté de l’original, Arbre) aux enfants vivant avec un TSA ou une déficience intellectuelle ou encore qui sont à mobilité réduite. 

Mentionnons aussi au passage les espaces prévus spécialement dans certains théâtres pour les personnes vivant avec un trouble d’intégration sensorielle ou un trouble anxieux, comme les salles de repos, les espaces dynamiques et les adaptations pour bulles familiales. 

Dans un petit marché comme celui du Québec, les compagnies et les diffuseurs de théâtre mettent l’accent sur la collaboration, la coproduction, les tournées. Et pour ceux et celles qui amènent au public d’ici les textes provenant d’autres horizons, si le milieu est effervescent et stimulant, l’apport d’autres ressources que la seule traduction théâtrale est essentiel. Il est encourageant de constater, par ailleurs, que pour les théâtres, les compagnies et le public, la notion d’accessibilité devient de plus en plus habituelle et qu’elle s’intègre aux mécanismes d’adaptation des œuvres théâtrales.


1) Cette question a notamment fait l’objet d’un atelier organisé en avril 2015 par le Centre des auteurs dramatiques (CEAD), Théâtres Unis Enfance Jeunesse (TUEJ) et Le Cube, Centre international de recherche et de création en théâtre pour l'enfance et la jeunesse.
2) YouTheatre, https://www.youtheatre.ca/?lang=fr. Page consultée le 5 février 2024.
3) Surreal soReal Theatre, https://surrealsorealtheatre.com/fr/. Page consultée le 5 février 2024.
4) Nathalie Delorme, « Accompagner les diffuseurs dans l’accueil d’un spectacle autochtone », Productions Ondinnok, https://www.ondinnok.org/accompagner-les-diffuseurs-dans-laccueil-dun-spectacle-autochtone/. Page consultée le 10 février 2024.
5) Stéphanie Dupuis, « Montrez-moi ce théâtre que je ne peux voir », Radio-Canada, le 16 novembre 2023. https://ici.radio-canada.ca/empreintes/5755/theatrodescription-non-voyant-accessible-seance-tactile. Page consultée le 30 janvier 2024. Pour plus de détails, consulter le site de Connec-T, pionnier de la théâtrodescription au Québec : http://www.connectau.ca/.
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