L’histoire des échanges multilingues sur le territoire aujourd’hui désigné comme le Canada est d’abord celle des communications entre les différents peuples autochtones qui l’habitaient. Toutefois, l’histoire documentée par les Européens concerne avant tout l’interprétation lors des premières explorations du territoire. En effet, Jacques Cartier et Samuel de Champlain, deux figures emblématiques de l’histoire du Québec et du Canada, mentionnent dans leurs relations de voyages l’importance de l’interprétation et des interprètes dans l’accomplissement de leurs missions respectives. L’interprétation sera en effet au cœur de la vie économique de la Nouvelle-France, puisque les interprètes jouent le rôle d’intermédiaire entre les Premières Nations et les marchands de fourrures.
L’histoire de la traduction et du fameux bilinguisme canadien, pour sa part, puise ses origines dans la conquête de la Nouvelle-France par les forces britanniques en 1763. L’anglais devient alors la langue du pouvoir : de la législature, de l’armée et de la justice. C’est à ce moment que commence véritablement l’histoire de la traduction au Canada. D’ailleurs, bien que les Canadiens français voient leurs perspectives d’avenir grandement limitées, une nouvelle carrière s’offre à eux, à savoir celle de traducteur. Dès l’instauration d’une administration civile en 1764, les lois seront traduites en français et publiées dans The Quebec Gazette/La Gazette de Québec (la traduction connaîtra au fil de l’histoire des hauts et des bas selon la volonté politique du moment). Des figures importantes de l’histoire du Québec occuperont la fonction de traducteur, dont l’écrivain et journaliste Philippe Aubert de Gaspé, l’avocat et romancier Antoine Gérin-Lajoie et le notaire et poète François-Xavier Garneau.
À la suite de la Confédération canadienne en 1867, le français et l’anglais sont reconnus comme les langues officielles du parlement canadien, des cours fédérales et de la province de Québec, entraînant une croissance de la traduction pragmatique, particulièrement au sein du gouvernement fédéral. Ainsi, afin d’assurer la qualité de la traduction en 1934, le secrétaire d’État Charles H. Cahan dépose un projet de loi concernant la centralisation des services de traduction fédéraux et proposant la création du Bureau de la traduction qui regroupe plus de 100 traducteurs travaillant pour divers ministères. Cet organisme est toujours un acteur important du milieu de la traduction.
Jean Delisle affirme qu’aujourd’hui le Canada est le paradis terrestre des traductrices. En effet, la profession y est particulièrement bien organisée; on retrouve plus de 25 associations professionnelles, dont des associations provinciales (comme l’OTTIAQ), ou pancanadiennes (comme le CTTIC – Conseil des traducteurs, terminologues et interprètes du Canada) et spécialisé (comme l’ACJT – Association canadienne des juristes traducteurs ou l’ATTLC – Association des traducteurs et traductrices littéraires du Canada).
Malgré le fait qu’historiquement les hommes ont été à l’avant-scène de la profession, les femmes y ont toujours œuvré dans l’ombre exerçant la traduction en plus grand nombre comme l’explique la professeure Sherry Simon. Ainsi, il n’est peut-être pas surprenant qu’une femme, Jeanne Grégoire1, soit l’instigatrice des premières formations en traduction au Québec2. Cette pionnière met sur pied les premiers cours en 1940, puis la première école de traduction, l’Institut de la traduction, en 1942, dont elle organise l’affiliation à l’Université de Montréal en 1944. Elle y est directrice des études jusqu’en 1964 et voit à la création du premier programme universitaire de traduction et du premier cours d’interprétation offerts au Canada. Elle met également en branle la première association canadienne de diplômés en traduction et fonde le Journal des traducteurs (1955) qui deviendra Meta, une des publications phares du domaine au Québec. Elle a également contribué à la mise en place du programme de traduction de l’Université Saint-Joseph-de-Memramcook (qui sera fusionnée avec l’Université de Moncton). Malgré tous ces accomplissements, sa contribution à la traduction au Québec demeure peu connue et reconnue.
Il est de plus en plus admis que la pratique de la traduction nécessite l’obtention d’un diplôme universitaire. En ce sens, la formation en traduction au Canada profite d’une certaine harmonisation grâce à l’Association canadienne des écoles de traduction. Fondée en 1973, l’ACET regroupe toutes les universités canadiennes offrant un baccalauréat en traduction (certaines offrant aussi des maîtrises professionnelles). L’ACET se veut un lieu d’échange permettant d’assurer la meilleure formation possible en traduction, en terminologie et en interprétation.
Au Québec, ce sont sept universités qui offrent un programme de traduction (Université Concordia, Université Laval; Université McGill; Université de Montréal; Université du Québec en Outaouais; Université du Québec à Trois-Rivières; Université de Sherbrooke). À cela s’ajoutent quatre universités canadiennes (Université York – Collège Glendon; Université de Moncton; Université d’Ottawa; Université de Saint-Boniface). Reflétant les besoins du marché et la réalité linguistique, la grande majorité des programmes s’offre dans la combinaison linguistique de l’anglais vers le français. Par contre, trois universités (Université Concordia, Collège Glendon et Université d’Ottawa) offrent également la formation dans la combinaison inverse. L’espagnol est aussi présent dans le cadre de concentration ou de cours optionnels. Pour ce qui est de l’interprétation, il existe deux formations de niveau maîtrise (Collège Glendon et Université d’Ottawa). La terminologie, pour sa part, est enseignée au sein des divers programmes de traduction, certaines universités (comme l’Université Laval) y accordant une plus grande place que les autres.
Il serait ainsi aisé de croire que le milieu de la traduction au Québec et au Canada est caractérisé par le bilinguisme anglais-français. Cette affirmation n’est pas fausse : la grande majorité de la traduction au Canada est effectuée de l’anglais vers le français, vient ensuite la traduction du français vers l’anglais. Néanmoins, un tel portrait de la réalité est bien réducteur. Même s’il est difficile de la quantifier, la traduction au Québec et au Canada concerne une variété de paires de langues reflétant la véritable diversité de la société sans oublier l’interprétation et la traduction communautaire, phénomènes de plus en plus incontournables et reconnus.
Alexandra Hillinger est professeure agrégée au département de langues, linguistique et traduction de l’Université Laval. Ses recherches portent actuellement sur l’histoire de l’interprétation en Nouvelle-France. Elle est la secrétaire de l’Association canadienne de traductologie (ACT) et de l’Association canadienne des écoles de traduction (ACET).
1) Je tiens à souligner que les informations sur le parcours de Mme Grégoire proviennent d’une recherche effectuée par Mme Émilie Gobeil-Roberge, traductrice agréée, dans le cadre de ses études doctorales. Je la remercie de m’avoir permis de les reproduire ici.
2) Il est à propos de souligner que la première formation en traduction au Canada a été mise sur pied à l’Université d’Ottawa en 1936.