On entend dire tantôt que la postédition est à la traduction automatique ce que la révision est à la traduction humaine, tantôt que postéditer, c’est réviser. Seule la recherche empirique en processus traductionnels permettrait de tirer les choses au clair.
La révision a toujours été un élément indissociable du processus traductionnel. On dit que « mieux voient quatre yeux que deux », que « l’union fait la force ». Dans un monde idéal, toute traduction mérite d’être soumise à une rigoureuse révision avant d’être livrée. Loin d’être facultative, la révision est essentielle pour la production de traductions de haute qualité : même les traductrices et traducteurs de grande expérience peuvent se tromper. Personne n’est à l’abri de l’erreur : une coquille, un faux ami, une virgule qui aurait dû être point-virgule.
Dans le monde professionnel, au sein des équipes de traduction, la révision est normalement faite par une personne autre que celle qui a produit la traduction. Or, si on travaille de façon autonome, et qu’on ne peut pas se payer le « luxe » d’une révision externe, on devra prévoir le temps nécessaire pour s’autoréviser1. Idéalement, on doit laisser reposer le texte (de quelques heures à quelques jours), changer de rôle et le relire avec un regard neuf.
La révision est également bien présente tout le long de la formation universitaire à la traduction : certains programmes offrent même des cours sur les techniques de révision. En outre, les étudiantes et étudiants de traduction découvrent la révision en prenant connaissance des corrections et des suggestions faites par les enseignantes et enseignants sur leurs travaux et examens. Par ailleurs, certaines universités intégrant des stages en milieu professionnel dans leurs cursus exigent un encadrement par une personne qui doit offrir de la rétroaction (révisions et commentaires) sur les traductions des stagiaires. Dans certains cas, les stagiaires ont également l’occasion de réviser leurs collègues2.
De nos jours, la révision se confond toutefois avec une pratique nouvelle et de plus en plus courante : la postédition. Le terme postédition est entré dans le secteur de la traduction lorsque les moteurs de traduction automatique (TA) ont commencé à produire des textes d’arrivée jugés suffisamment bons pour être revus et améliorés. C’est comme si la TA avait remplacé le processus de traduction et que la postédition avait pris la place du processus de révision.
Mais s’agit-il réellement de pratiques similaires? La postédition est-elle à la TA ce qu’est la révision à la traduction3? La pratique et l’enseignement de la révision sont-ils menacés ou transformés à l’ère de la postédition? La personne qui révise devrait-elle être avisée qu’elle relit un texte postédité? En quoi son approche de la révision en serait-elle différente4?
Dans leurs travaux, les professeurs Félix do Carmo et Joss Moorkens établissent que, même si la traduction est surtout un processus de production textuelle, la révision est surtout un processus de relecture; l’écriture et la lecture établiraient ainsi la frontière entre la traduction et la révision5. Alors, que peut-on en conclure lorsqu’il est plutôt question de postédition?
Il existe suffisamment de preuves et d’arguments pour considérer la postédition comme une forme de révision. Des études empiriques sur les processus traductionnels, comme celle de Daniel Ortiz-Martinez et ses collaborateurs6, montrent qu’une grande partie du temps de postédition est investi en arrêt (lecture, réflexion) et non pas en saisie de texte; ceci suggère que la révision et la postédition sont davantage associées à la lecture qu’à l’écriture. Cependant, d’après do Carmo et Moorkens, ce n’est pas une raison suffisante à elle seule pour classer la postédition comme une forme de révision, lorsqu’on remet la postédition dans son contexte de production actuel7.
Pour être considérée comme une forme de révision, la postédition devrait avoir pour seul objectif la relecture et la correction des quelques erreurs d’une traduction dite « finie », la seule différence étant que ladite traduction a été produite par une machine et non par un être humain. Or, dans le monde de la traduction professionnelle, cette condition fondamentale n’est pas remplie en postédition, puisque la TA ne produit pas une traduction finie. La TA n’est qu’une série de suggestions ou d’hypothèses de traduction d’un texte7. Avant d’accepter un travail de postédition, puisqu’on sera responsable de la traduction finie, on doit reconnaître le statut particulier des suggestions présentées ainsi que le type d’erreurs susceptibles d’être commises par le système de TA; enfin, on doit avoir conscience du niveau de qualité imprévisible de la sortie-machine.
Comme l’explique la professeure Celia Rico, la postédition en milieu professionnel est déterminée par les spécifications du donneur d’ouvrage, ses exigences de style, sa terminologie et de nombreux autres facteurs externes qui varient d’un mandat à l’autre et qui peuvent évoluer au fil du temps. Or, compte tenu des spécifications limitant la production (le délai imposé et la qualité attendue), la postédition s’effectue souvent sous pression sans possibilité de revue du travail avant sa remise. En revanche, dans certains milieux professionnels, il n’est pas rare que les textes postédités soient révisés par une autre personne, car ce serait le seul moyen de garantir l’adéquation du texte à l’usage prévu, avant qu’il ne soit livré. Ce flux de travail assez particulier peut sembler désavantageux pour ce qui est de la productivité et des coûts; toutefois, il met en valeur l’importance de la révision externe, du « regard neuf » apporté par ce maillon important de la chaine qu’est la réviseure ou le réviseur.
Par ailleurs, la postédition est effectuée normalement dans des environnements technologiques spécialisés; elle est souvent alliée au travail avec les mémoires de traduction. Dans ce contexte, on effectue de nombreuses tâches qui sont plutôt d’ordre traductionnel – recherches dans des bases de données terminologiques, production textuelle et édition – en plus d’exploiter de nombreuses fonctions propres aux outils d’aide à la traduction. Voilà une autre raison de concevoir la postédition comme un type de traduction. La postédition représente une évolution du processus de traduction parce qu’elle remplit le même objectif que la traduction, c’est-à-dire produire un texte de qualité dans la langue cible de manière efficace. Mais aussi parce qu’elle requiert des compétences avancées en rédaction et en manipulation des outils de traductique.
Il s’avère important de continuer de distinguer la révision de la postédition, ainsi que de refléter cette distinction tant dans la pratique que dans l’enseignement de la traduction. Des recherches scientifiques poussées qui se penchent sur la question sont plus que souhaitables. Les différentes méthodes de récolte de données empiriques de la recherche en processus traductionnels (l’enregistrement de la frappe et des activités à l’écran, les mesures oculométriques, les entretiens et les questionnaires, entre autres) permettraient de mettre en évidence les actions d’édition et de production textuelle, de recherche informationnelle et de traduction à partir de zéro qui sont effectuées dans le contexte de la postédition en les comparant avec les gestes de la révision. Ces études permettraient aussi de mesurer les gains de productivité, la qualité des textes (postédités, puis révisés), ainsi que la satisfaction et le bienêtre des membres des professions langagières. De telles recherches pourraient nous amener à voir la postédition comme une stratégie de traduction efficace nécessitant des compétences spécialisées – et à ne pas la confondre avec la révision, qui demeure primordiale et indispensable.
Julián Zapata est traducteur agréé, docteur en traductologie (Université d’Ottawa), chercheur et entrepreneur. ll est professeur adjoint au département des langues, des littératures et des cultures à la Toronto Metropolitan University.
Sébastien Polikar est traducteur/réviseur indépendant et rédacteur/réviseur en entreprise. Il est titulaire d’une maîtrise ès sciences de l’éducation de l’Université d’Ottawa et chargé de cours à l’Ecole de traduction et d’interprétation et à l’Institut des langues officielles de la même université.
1 Jean Delisle et Marco Fiola consacrent un objectif complet à l’autorévision dans la 3e édition de La traduction raisonnée (2013) (Objectif 12, p. 143-158)
2 C’est d’ailleurs le cas du programme de formation professionnelle collaborative du Bureau de la traduction du gouvernement fédéral du Canada, où les stagiaires, regroupés en équipes de trois, se révisent à tour de rôle.
3 L’Office québécois de la langue française, dans la fiche « postédition » du Grand dictionnaire terminologique, établit que « [l]a postédition correspond à l'étape de révision en traduction humaine ». Cette référence remonte à l’année 2000.
4 Voir Ortiz Takacs, Zapata et Zuluaga dans ce numéro (en espagnol).
5 do Carmo, F. & Moorkens, J. (2020). Differentiating Editing, Post-Editing and Revision. Dans M. Koponen, B. Mossop, I.S. Robert, et G. Scocchera (dirs.), Translation Revision and Post-Editing, pp.35-49.
vi Ibid.
vii Ibid.
6 Ortiz-Martínez, Daniel, et coll. (2016). Integrating Online and Active Learning in a Computer-Assisted Translation Workbench, Dans. M. Carl et coll. (dirs.), New Directions in Empirical Translation Process Research, pp. 57-76.
7 Rico, Celia. (2022). Mind the gap: The nature of machine translation post-editing. Babel. Revue internationale de la traduction / International Journal of Translation. 68(1).