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La formation universitaire en traduction et en interprétation en Colombie et au Venezuela

Par Norman Darío Gómez Hernández et Juan Felipe Zuluaga Molina

Les programmes de formation en traduction et en interprétation au niveau tertiaire dans certains pays d’Amérique de Sud ont connu une croissance ou une forme de permanence plus ou moins stables au cours des dernières décennies. Tant dans la formation de premier cycle que de deuxième cycle, le secteur de la médiation linguistique et communicative s’est concentré sur des langues telles que l’anglais, le français et, de façon précaire, d’autres grandes langues européennes. Cela suit une tendance marquée vers le développement de compétences en traduction et en interprétation vers la langue première (c’est-à-dire l’espagnol, dans la plupart des cas), malgré la demande croissante du marché hispano-américain pour la traduction vers des langues supplémentaires. 

Plus récemment, plusieurs pays d’Amérique du Sud, dont la Colombie et le Venezuela, ont commencé à accroître leur intérêt pour la formation à la traduction et à l’interprétation dans des langues autres que celles déjà mentionnées. C’est d’ailleurs le cas des langues des signes de leurs populations (seulement en Colombie, trois programmes de premier cycle en ligne ou en présentiel ont vu le jour) et dans d’autres langues minoritaires et minorisées comme celles des peuples autochtones. 

L’augmentation et la diversification de la demande de traduction représentent des défis importants que doivent surmonter, tout seuls, les établissements de formation à la traduction dans ces pays. Par exemple, ni la Colombie ni le Venezuela n’ont de politiques claires qui régissent la profession ni de politiques qui donnent un statut adéquat aux personnes l’exerçant. En outre, ces deux pays ont négligé les recommandations des organismes internationaux pour l’avancement de la traduction et la protection des membres de la profession1, dont celles de la « Déclaration de Lima », où les représentants des associations langagières de huit pays latino-américains recommandent aux autorités compétentes d’« […] unir leurs efforts à ceux des associations professionnelles de chaque pays pour prendre des mesures concrètes afin de remédier aux lacunes existantes et de former des professionnels avec un niveau d’excellence qui répond aux besoins réels des utilisateurs du service, et afin de valoriser la profession et de la rendre visible ». [notre traduction]

Il faut dire que cette recommandation représente un défi important pour la Colombie et le Venezuela, compte tenu de leur offre réduite de formation universitaire en traduction. En Colombie, il n’existe qu’un seul programme de premier cycle en traduction de l’anglais et du français vers l’espagnol (Université d’Antioquia), et quelques programmes de deuxième cycle. Au Venezuela, deux programmes de premier cycle sont offerts à l’Université centrale du Venezuela; d’autres institutions offrent quelques cours, qui ne font toutefois pas partie de programmes menant à un diplôme de premier cycle en traduction. 

Une réalité guère plus positive dans la région

Le scénario n’est pas plus encourageant dans les autres pays de la région : l’offre de diplômes universitaires varie grandement, allant d’un ou deux programmes à Cuba, au Costa Rica et au Paraguay, à plus d’une douzaine au Chili, en passant par des situations intermédiaires comme celles du Pérou et du Mexique (4 et 5 programmes respectivement). L’Argentine constitue de son côté un cas exceptionnel, offrant un total de 65 programmes, répartis dans 47 institutions.

Dans le but d’aplanir cette disparité, les pays de la région devraient rechercher des ententes conjointes sur les éléments nécessaires à la formation des traductrices et des traducteurs en Amérique latine, en fonction des différents besoins démographiques, politiques ou économiques. Cette tâche devrait être menée sur plusieurs fronts, notamment le politique, l’associatif, l’éducatif et l’universitaire. 

Un long chemin à parcourir

La traduction et l’interprétation ont acquis une reconnaissance mondiale importante en tant que professions indépendantes, et ce, grâce aux contributions de la traductologie pour consolider leur statut2. Or, on observe qu’en Colombie et au Venezuela, la traduction est toujours considérée comme un métier, et non comme une profession. Cette situation pourrait être liée, entre autres, au faible nombre de programmes de formation existant dans les deux pays, au manque de clarté dans les objectifs de formation de ces programmes et même à l’accès de plus en plus facile aux outils de traduction automatique (gratuits et payants) pour le grand public. Ces facteurs parmi d’autres peuvent avoir contribué à la méconnaissance et souvent à la sous-estimation du travail des traductrices et traducteurs. Toutefois, deux autres éléments cruciaux pour la reconnaissance des professions sont absents dans ces pays, soit d’abord des politiques pour protéger les intérêts des membres des professions langagières, puis le pouvoir de rassemblement et de représentation des quelques associations professionnelles existantes. 

Enfin, on peut dire que l’enseignement de la traduction en Colombie et au Venezuela se déroule dans des circonstances éducatives complexes où les gestionnaires et les enseignantes et enseignants doivent s’efforcer de transformer les défis quotidiens en de nouvelles possibilités d’apprentissage pour les générations à venir. De leur côté, les étudiantes et étudiants doivent surmonter d’innombrables obstacles linguistiques, culturels, sociaux, économiques et même politiques pour se former et se tailler une place dans le monde complexe et changeant de la traduction.

Par cette brève contribution, les auteurs de ces lignes espèrent avoir à tout le moins entrouvert la porte sur le monde complexe que constitue la formation en traduction en Colombie et au Venezuela, qui reflètent par ailleurs la situation qui prévaut chez certains de leurs voisins latino-américains dans ce domaine.

  1. Notamment les Recommandations de Nairobi – UNESCO 1976, la Recommandation de La Havane – 2008 et la Déclaration de Lima – 2015.
  2. Notamment la création, en Colombie, de la norme technique ICONTEC 17100 de 2017 (sur la prestation de services de traduction) par le biais du Comité technique de la terminologie et autres ressources linguistiques et de contenu, composé de professeurs d'université qui se consacrent à la réflexion traductologique et terminologique.

Norman Darío Gómez Hernandez est docteur en traductologie de l’Université Johannes Gutenberg en Allemagne. Il est enseignant-chercheur à la Bonn-Rhein-Sieg University of Applied Sciences et membre du groupe de recherche en traduction et nouvelles technologies de l’Université d’Antioquia, en Colombie.

Juan Felipe Zuluaga Molina est enseignant-chercheur du département de linguistique de la Faculté des Sciences de la Communication et de Philologie de l’Université d’Antioquia, en Colombie. Il est membre du groupe de recherche en traduction et nouvelles technologies de la même université.



Références

Chaia, Geraldine (2017): La formación de traductores en las universidades públicas argentinas. En: Synergies Argentine (5), pág. 93–108.

Fernández, Luis Raúl (ed.) (2018): La profesión del traductor en México. Ciudad de México: UIC, Universidad Intercontinental, A.C.

Gómez, Norman (2022): La enseñanza de la traducción en pregrado universitario en Hispanoamérica: estudio de casos múltiple de seis instituciones con programas de traducción (Argentina / Colombia / Venezuela). Mainz: JGU-Publikationen.


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