Ce n’est pas d’hier que la science s’intéresse à l’influence de l’activité humaine sur le climat. Elle nous dit aujourd’hui que la situation est critique. L’urgence est telle que de nombreux citoyens, organismes et politiciens cherchent à présent des solutions pour ralentir la marche des changements climatiques. Pour éclairer ses lecteurs sur la question, Circuit a rencontré Diego Creimer de la Société pour la nature et les parcs (SNAP Québec). Ancien traducteur et journaliste s’intéressant particulièrement à l’environnement et aux luttes sociales, M. Creimer a occupé au fil des ans différents postes au sein d’ONG environnementales canadiennes et québécoises. Il nous parle notamment du rôle que peuvent jouer les traductrices dans la stratégie de communication des organismes environnementaux.
Circuit : Quelles sont les causes des changements climatiques?
Diego Creimer : La principale cause des changements climatiques qui menacent notre qualité de vie et même la viabilité de l’humain sur Terre est d’origine humaine : depuis le début de la Révolution industrielle, nous avons ajouté d’énormes quantités de dioxyde de carbone à notre atmosphère. Déjà en 1859, le physicien et glaciologue irlandais John Tyndall établissait que certains gaz absorbent la radiation infrarouge, donc, la chaleur. Il suggère alors qu’une modification de leur concentration dans l’atmosphère pourrait provoquer des changements dans notre climat. Ensuite, en 1896, le chimiste suédois Svante Arrhenius publie les premiers calculs sur le réchauffement climatique causé par les émissions de CO2. En résumé : la science nous avertit depuis au moins 160 ans que nous manipulons une bombe à retardement dont le déclencheur est la concentration de CO2 dans l’atmosphère. Néanmoins, le dioxyde de carbone n’est pas le seul gaz à effet de serre. Il y en a d’autres comme le méthane, qui est de 25 à 32 fois plus puissant en matière de réchauffement, mais dont la durée de vie dans l’atmosphère est plus courte, d’environ une douzaine d’années. Le méthane provient principalement des activités agricoles, comme l’élevage de bétail, des matières en décomposition dans nos dépotoirs, de l’industrie pétrolière et gazière, notamment des puits orphelins, et de la fonte du pergélisol en Arctique. Le danger est que le réchauffement induit par l’augmentation des concentrations de CO2 accélère aussi la fonte du pergélisol et nous entraîne dans un cercle vicieux où deux puissants gaz à effet de serre contribuent, de manière additionnelle, à l’emballement des changements climatiques. Le risque ici, c’est d’en perdre complètement le contrôle. Pour éviter le pire, la science nous dit que nous avons moins de 10 ans pour agir, autant au niveau collectif qu’individuel. Nous devons immédiatement tourner le dos aux énergies fossiles. Ce n’est pas une posture politique, mais un simple fait scientifique. Cette question doit être complètement dépolitisée.
C. : Existe-t-il des façons simples de réduire l'impact des activités humaines sur l’environnement?
D. C. : Absolument! Par exemple, le télétravail a été pour plusieurs l’une des belles découvertes de la pandémie. Au milieu de cet océan de souffrance et de solitude, nous avons compris que nous n’avons pas besoin d’être tout le temps au bureau, et qu’un sain équilibre entre travail en présentiel et travail à distance peut faire le bonheur d’un grand nombre de collègues, réduire drastiquement nos émissions de CO2, car nous utilisons moins la voiture, et nous garder tout aussi efficaces dans nos tâches. Avec le télétravail, le temps que nous consacrons à nos familles et à nos amis augmente, et le temps passé dans les embouteillages diminue. Les heures ainsi libérées améliorent aussi notre santé, car nous avons plus de temps pour les activités physiques et la cuisine maison. Et avec une présence régulière et bien planifiée au bureau, nos liens sociaux avec nos collègues peuvent continuer de fructifier. Pour les entreprises, le télétravail permet de diminuer le nombre de pieds carrés loués (et on sait à quel point les espaces de bureaux sont coûteux au centre-ville de Québec et de Montréal). Plusieurs compagnies se sont d’ailleurs outillées de logiciels de gestion de partage des bureaux sur une base rotative. Bref : avec le télétravail, tout le monde gagne, et notre planète aussi.
C. : Utilisez-vous vous-même le télétravail dans vos fonctions?
D. C. : Je travaille trois jours par semaine au bureau et deux jours par semaine à la maison. Quand je vais au bureau, je prends le vélo jusqu’à une station de métro, ce qui me permet de commencer ma journée avec un peu d’activité physique, et ensuite je voyage 20 minutes en métro, ce qui me donne le temps de lire les nouvelles environnementales et politiques et d’anticiper ce que la journée nous offre. Pour le retour, je choisis plutôt des ouvrages de fiction; je lis ainsi en moyenne un roman de plus par mois! J’adore cette alternance bureau-télétravail qui me permet d’être plus présent à la maison et de participer davantage aux tâches ménagères, de passer plus de temps avec ma conjointe et mes enfants, d’être bien connecté avec mes collègues et de me cultiver.
C. : Quelles autres mesures pourrions-nous prendre pour réduire notre empreinte sur l'environnement?
D. C. : Dans l’immédiat, nous devons arrêter deux choses : notre consommation d’énergies fossiles et la destruction de la nature dont nous dépendons. Les autos à essence seront interdites dès 2035 au Québec, peut-être même avant. Mais l’urgence climatique est maintenant. Si on a absolument besoin d’une auto, pourquoi ne pas en acheter une électrique, ou à tout le moins, la plus petite voiture à essence, de préférence usagée? La voiture n’est pas seulement l’un des grands émetteurs de GES au Québec : elle est aussi l’une des principales dettes des ménages. C’est un gouffre béant dans lequel nous jetons notre climat et notre argent. Alors, si les transports en commun ne suffisent pas à combler nos besoins de mobilité, considérons l’achat, la location ou l’auto-partage des véhicules les moins énergivores et les moins chers possibles. Le prix des autos électriques est en train de descendre et, fort heureusement, cette tendance est maintenant irréversible. Pourtant, il n’est pas vrai que nous avons tous besoin d’une auto. Saviez-vous qu’une automobile passe plus de 90 % de sa vie utile garée? Si depuis 100 ans l’auto est synonyme d’indépendance et de liberté, on pourrait revoir cette idée et se demander si avoir moins d’autos, moins de dettes et un climat stabilisé n’est pas aussi une forme de liberté et d’indépendance davantage intéressante.
C. : À votre avis, combien de temps nous reste-t-il avant que les changements climatiques deviennent irréversibles?
D. C. : Les changements climatiques sont déjà irréversibles. Nous sommes entrés dans une ère de conséquences. Ce sur quoi nous avons encore la possibilité d’agir, c’est sur l’ampleur de ces conséquences. Il faudra des siècles, peut-être même des milliers d’années pour que les concentrations de CO2 reviennent à celles de l’ère préindustrielle et pour que les effets des bouleversements que l’humain a produits disparaissent. Mais nous pouvons – et nous devons – choisir la façon dont nous allons composer avec les changements climatiques en cours, les limiter et nous adapter, partager équitablement le fardeau qu’ils nous imposent déjà, et reconstruire notre lien d’interdépendance avec la nature pour que cet équilibre ne soit plus jamais brisé. Il faut comprendre que la crise climatique et la chute de la biodiversité sont intimement interreliées. Plus le climat change et les températures moyennes augmentent, plus la pression est grande sur les espèces animales et végétales. Plusieurs d’entre elles ne réussiront tout simplement pas à s’adapter assez rapidement. Et inversement, plus le nombre d’espèces et d’écosystèmes qui disparaissent augmente, moins on a de chances de se prévaloir de l’incroyable pouvoir de la nature pour nous venir en aide. Cela est très grave : en contexte d’urgence climatique, détruire des écosystèmes équivaut à couper le courant dans une salle de soins intensifs. La nature peut-être une puissante alliée dans la lutte aux changements climatiques. Les dernières recherches scientifiques estiment que les actions de conservation de la nature peuvent représenter à elles seules jusqu’à 37 % de l’effort nécessaire pour réduire nos émissions de GES de 55 % d’ici 2030.
C. : Quelles stratégies de communication utilisez-vous pour transmettre le message?
D. C. : Depuis les communiqués de presse écrits, lus et filmés en 16 mm sur le pont du Phyllis Cormack, le premier bateau de la toute première action de Greenpeace pour arrêter les essais nucléaires sur les îles Aléoutiennes en 1971, les stratégies de communication des organisations environnementales ont beaucoup évolué. Évidemment, ce changement a été encore plus radical avec l’arrivée d’Internet et des réseaux sociaux. Mon travail quotidien consiste à établir une courroie de transmission entre la science, la population concernée par la destruction de la nature et les bouleversements climatiques, les instances décisionnelles et les sources d’investissement. Sur cette courroie de transmission, le problème, la science qui l’explique et les solutions pour le surmonter doivent toujours voyager ensemble. Dénoncer un problème implique toujours d'avancer des solutions. Le contraire serait fortement démobilisant et peu constructif. Cette courroie de transmission maintient sa fonction dans le temps, mais elle peut prendre plusieurs formes : les médias traditionnels, qui couvrent l’aspect « nouvelle » et vont chercher des points de vue et des corroborations, les médias sociaux, qui servent de lieu de diffusion, débat et mobilisation citoyenne, les communications directes comme les relations gouvernementales ou les événements publics, et enfin, la publication des rapports scientifiques et le dépôt de mémoires en commission parlementaire.
C. : Quelle place la traduction prend-elle dans cette stratégie?
D. C. : Sur le terrain de la politique fédérale, la traduction est un incontournable. Les rapports scientifiques doivent être publiés dans les deux langues officielles du pays, et les efforts de vulgarisation scientifique doivent aussi se faire dans les deux langues. Cela exige l’emploi de traductrices parfois hautement spécialisées. L’avantage de travailler au Québec est que le bassin de langagières qualifiées y est suffisamment grand pour subvenir aux besoins des ONG dans des délais raisonnables, et que les ressources spécialisées en traduction scientifique, légale, financière ou technique ne manquent pas.
C. : Auriez-vous des conseils à prodiguer aux personnes qui travaillent dans l'industrie langagière?
D. C. : Vous avez une énorme responsabilité dans la transmission des savoirs sur la biodiversité et le climat. Votre clarté et votre précision peuvent faire toute la différence à l’heure de communiquer et de sensibiliser. La taxonomie avance très rapidement dans notre domaine. Pensez juste au terme « biodiversité » qui n’existait pas il y a à peine 30 ans, et qui maintenant se retrouve dans des milliers de documents officiels et scientifiques, dans toutes les langues. Vous êtes par ailleurs les gardiens de la précision du langage. Il ne faut pas craindre d’appeler une tragédie une tragédie. L’urgence que nous signale la science doit être claire partout, dans les langues de Molière, de Shakespeare, de Cervantès, de Goethe, de Tolstoï et de Dante. Vous ne traduisez pas que des textes : vous traduisez des découvertes scientifiques, des urgences planétaires et d’avenirs possibles. Votre rigueur et votre sensibilité font parties de la solution. Soyez-en fiers.