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Interprètes à la pige en Afrique : survivre à une pandémie

Par Achille Yaya, Bénin

Achille YayaDans le film Black Panther, du réalisateur Ryan Coogler, Sa Majesté le roi T’Challa ne pensait pas si bien dire quand il affirmait :« En temps de crise, le sage construit des ponts, l’insensé élève des murs. » Les bouleversements engendrés par la COVID-19 ont mis en exergue le caractère incontournable des connexions humaines, même en temps de distanciation physique.

L’année 2020 s’inscrit dans l’histoire comme une période de profondes mutations sociales. La pandémie de COVID-19 a porté un coup au monde tel que nous le connaissions. En étendant ses tentacules dans tous les secteurs d’activité, la COVID-19 a enfanté la « nouvelle norme ». Pour les interprètes de conférences et les traducteurs, la pandémie a remis en cause tous les acquis. Partout dans le monde, adaptation et résilience sont devenues les maîtres-mots. En Afrique, comme ailleurs, la pandémie a imposé des normes inédites tout en conduisant insidieusement les professionnels sur de nouvelles pistes. Pour relever ces défis nouveaux dans un contexte de distanciation physique, le réseautage est devenu une véritable panacée.

En décembre 2019, alors que se terminent les dernières réunions en présentiel de l’année, les interprètes ne se doutent de rien. La nébuleuse de la COVID-19 qui prépare son assaut n’était encore qu’un problème chinois. Néanmoins, tel un feu de brousse, la pandémie se propage rapidement. Les interprètes en Asie, en Europe, en Amérique et ici en Afrique observent impuissants leurs opportunités de travail s’amenuiser. Les secteurs de l’interprétation de conférence et de la traduction se retrouvent en quelques semaines à genoux et les professionnels aux abois. En dépit des nouvelles plateformes de réunions à distance, le bilan est négatif, les réunions annulées ici et là, suspendues ou ajournées sine die, ont tôt fait de peindre un tableau apocalyptique. 

Qui a donc ouvert la boîte de Pandore?

Vu d’Afrique, c’est indiscutablement la goutte d’eau qui fera déborder le vase. Et pour cause : le marché déjà très peu organisé se retrouve complètement dépouillé. Les jeunes interprètes sont face à une situation que ne cernent non plus les plus expérimentés. Les mesures barrières adoptées, et pour la plupart bien suivies, contraignent les organisateurs de réunions à revoir leur calendrier. Les conférences se raréfient et l’option de l’interprétation simultanée à distance peine à prendre son envol.

La COVID-19 donnait donc le baiser de la mort à l’interprétation de conférence en Afrique, pouvait-on s’alarmer. Face à ce chaos soudain, il convenait de trouver le courage et l’ingéniosité nécessaires pour sortir la tête de l’eau. 

L’un des plus grands enseignements de cette pandémie pour les langagiers, c’est la nécessité, en temps de crise ou non, de rester connectés. En dépit de grandes disparités entre les pays et régions du monde, les défis auxquels la profession fait face semblent être similaires. Ainsi, devant les multiples accrocs produits par la COVID-19, plusieurs professionnels ont fait le choix d’un type de connexion qui respecte la distanciation physique. Les plateformes de réunions et de conférences en ligne ont été grandement sollicitées, ce qui en soi a démocratisé l’accès à la connaissance et créé des connexions professionnelles à travers le monde. Certains réseaux sociaux ont servi de passerelle de choix. C’est ainsi que la session de Mentorat Express et le « Financial Success Summit for Translators » respectivement organisés par l’Ordre des traducteurs, terminologues et interprètes agréés du Québec (OTTIAQ) et la consultante Moira Monney ont rassemblé des participants du monde entier, permettant ainsi aux professionnels de découvrir de nouvelles opportunités de travail. Dans un contexte où le marché local est presque inexistant, il s’est créé un nouveau marché international et surtout virtuel. Grâce aux plateformes de conférences en ligne, les interprètes, depuis leurs domiciles, avaient dorénavant la possibilité de participer à une réunion organisée à l’autre bout du monde. Les partages d’expérience au cours des multiples réunions virtuelles organisées par des professionnels de la traduction et de l’interprétation ont rendu accessible une mine de connaissances, laquelle a guidé la riposte individuelle face à un mal commun.

Les nouvelles normes qu’impose la COVID-19 ont permis aux interprètes les plus avisés de surfer sur la vague en renforçant leur présence en ligne pour attirer des clients. L’année 2020 entrera dans l’histoire comme une « Année terrible » pour emprunter l’expression à Victor Hugo, mais il est clair qu’il faut faire contre mauvaise fortune, bon cœur. Bien qu’elle ait poussé à fond la capacité d’adaptation des langagiers africains, l’année 2020 a réitéré la nécessité de rester connecté à d’autres collègues et a démontré le besoin constant d’apprendre et d’apprivoiser les nouvelles technologies pour améliorer les services et les étendre à un plus grand nombre de clients.

À l’entame de l’année 2021, il serait judicieux de consolider les acquis et de se projeter dans un avenir où par libre arbitre, le monde se tournera vers moins d’interactions physiques dans le cadre professionnel. Alors, ce ne sera plus un choix, mais une nécessité pour l’interprète aussi bien que pour le traducteur de faire preuve d’innovation et d’adaptation. En Afrique, le vent a tourné et les jours obscurs sont désormais loin derrière nous. Les professionnels ont pris la pleine mesure des nouvelles réalités et se sont équipés pour ne pas être du reste. William Shakespeare faisait remarquer dans sa tragédie du Roi Lear que « Le pire n’est point tant que nous pouvons dire : “Voici le pire” ». Face au flou artistique qui se dessine avec la batterie d’incertitudes liées à l’efficacité des vaccins jusqu’ici proposés, la réticence de certaines populations à se faire vacciner, la découverte de nouvelles souches plus meurtrières du virus et les nouvelles contaminations en masse, devons-nous redouter le pire ?


Titulaire d’un Master en interprétation de conférence et d’une licence en linguistique anglaise appliquée, Achille Yaya est un dynamique interprète et traducteur béninois. Passionné de langue et de communication, il apporte un appui linguistique à une poignée d’institutions internationales et intervient comme consultant auprès d’agences de traduction et d’interprétation dans la sous-région ouest-africaine et au-delà.

 


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