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Le statut social du traducteur

Par Pierre Cloutier, traducteur agréé

Qu’entend-on par statut social? La question est simple, mais la réponse ne l’est pas. Bien entendu, de nombreuses études ont été publiées sur le sujet et beaucoup d’autres suivront. En effet, après avoir consulté certaines d’entre elles, on se rend compte qu’aucun statut social n’est fixe et qu’il faut suivre chaque changement de façon continue si l’on veut obtenir une représentation à jour d’une société quelconque. En lisant le Portrait social du Québec, édition 2010, de l’Institut de la statistique, par exemple, on est en mesure de percevoir l’évolution rapide d’une société occidentale et de comprendre les éléments qui participent à sa transformation. Chaque profession joue un rôle particulier dans une société. Ensemble, elles façonnent notre environnement, mais prises individuellement, elles sont soumises à la perception du prestige, aux conjonctures économiques et aux modes temporaires.

En outre, des facteurs comme la scolarité, la langue maternelle ainsi que la proportion de femmes et d’hommes qui exercent une profession influent non seulement sur la rémunération des membres de cette profession, mais aussi sur la place de ceux-ci au sein de la société dans laquelle ils vivent.

Comme vous l’avez certainement déduit, le présent dossier traite du statut social de la profession de traducteur. Ce thème a inspiré nos auteurs, qui ont choisi des angles d’approche journalistique faisant appel à l’histoire, à la sociologie, à l’économie et au droit. Il en découle une réflexion riche, empreinte de diversité et enracinée dans une structure cohérente. Les difficultés soulevées et les solutions proposées font donc entendre plusieurs voix qui s’accordent les unes avec les autres pour former une harmonie naturelle.

Notre dossier commence par une mise en situation historique. Ainsi, dans son article, Jean Delisle brosse le portrait de la profession de traductrice et de traducteur au Canada, une profession qui est partie de loin : à l’origine sans statut, elle se transforme au fil des décennies pour le mieux. Toutefois, l’auteur nous met en garde, car nos acquis sont encore fragiles. Pour sa part, James Archibald retrace l'évolution du statut des traducteurs au Québec en vertu du Code des professions, qui met aujourd'hui en lumière le rôle de veille linguistique qui leur incombe.

À la lecture de l’article de François Abraham, on conclura qu’afin de mieux prendre part au débat politique et social dont la traduction fait l’objet, les traducteurs y gagneraient à être actifs dans leur ordre professionnel, dans l’une des associations où se regroupe la profession ou, pourquoi pas, dans une chambre de commerce. Ces réseaux élargis et l’expérience acquise à entretenir une diversité de relations leur permettront d’exercer une réelle influence sur l’évolution d’une profession qui répond à un besoin essentiel au Canada et au Québec.

Pour sa part, Marielle Godbout nous explique que depuis plus d’un quart de siècle, la traduction a obtenu le statut juridique de profession avec titre réservé d’abord en Ontario, puis au Nouveau-Brunswick, au Québec et en Colombie-Britannique. Sa reconnaissance n’est pourtant pas tout à fait acquise et les recherches les plus récentes en sociologie des professions la considèrent comme une semi-profession comportant la plupart des caractéristiques d’une profession, mais à un degré moindre.

En ce qui a trait à la traduction littéraire, la Loi sur le droit d’auteur reconnaît qu’une traduction constitue une œuvre originale, confirme Madeleine Stratford. L’auteure précise que l’UNESCO, le Conseil des arts du Canada et l’Union des écrivaines et des écrivains québécois reconnaissent le statut de créatrice de la traductrice. Malgré ces avancées, la place de la traductrice littéraire reste un dilemme : demeurer dans l’ombre ou aller sous les projecteurs?

Antoine Raimbert poursuit la réflexion en s’interrogeant sur les causes actuelles du manque de reconnaissance des langagiers dans la sphère socioprofessionnelle. Le traducteur et la traductrice sont vertueux, certes, mais ils doivent rayonner davantage et faire comprendre ce qui les distingue des autres professionnels.

L’exercice de la traduction, comportant de nombreux acteurs et lecteurs aux exigences parfois contradictoires, est en constante mutation, selon Marc Lambert. En outre, l’informatisation et la délocalisation constituent des facteurs de fragilisation du marché importants dont il faut tenir compte pour repenser l’avenir de la profession. Véritable trait d’union entre les cultures et spécialiste de la communication, le traducteur est néanmoins bien placé pour se faire (re)connaître.

Cette reconnaissance est essentielle. En ce sens, l’article de François Lavallée s’inscrit parfaitement à la suite de celui de Lambert. En effet, l’auteur explique qu’au-delà des revendications traditionnelles des professionnels de la traduction, il faut mériter son statut. Allier connaissance, expérience et intelligence pour faire valoir sa compétence et faire connaître le caractère noble de notre profession est central pour garantir son avenir.

En comparaison de l’époque de ses premiers débuts, la profession de traducteur réserve aujourd’hui des perspectives qu’apprécie la génération montante de praticiens et de praticiennes en formation malgré la perception qu’on semble en avoir dans la société. Ces futurs traducteurs et traductrices se sont confiés à Philippe Caignon, qui a résumé leurs paroles.


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