Trouver la définition de la notion de qualité a toujours constitué un défi, tant pour les chercheurs que pour les professionnels, car il s’agit d’un concept aux multiples facettes et aux contours flous, demeurant assez difficile à saisir. Toutefois, celui-ci a connu une évolution importante au fil des années dans le domaine de la traductologie.
Cet article vise à présenter un aperçu de l’évolution du concept de qualité en distinguant quatre principaux courants : au départ, les premiers essais de définition étaient fortement orientés vers le texte source, par la suite, de plus en plus de tentatives d'objectivation sont apparues, puis la fonction du texte a pris une plus grande importance et, de nos jours, un point de vue beaucoup plus économique apparaît, prioritairement centré sur les notions de bénéfice et d’efficacité.
Le tout premier ouvrage voué à la notion de qualité est le recueil des interventions au troisième congrès de la Fédération Internationale des Traducteurs tenu en 1959 à Bad Godesberg. Cet ouvrage présente les résultats d’une enquête menée par les éditeurs auprès de plus de 100 professionnels de la traduction. Les réponses obtenues étaient plutôt vagues et anecdotiques, nourries par l’expérience personnelle des participants. En voici des exemples : une bonne traduction ne devrait pas être ressentie comme étant une traduction, la qualité d’une traduction dépend du degré de compréhension de l’intention de l’auteur par le traducteur, etc. Les interventions publiées dans ces actes soulignent de nombreuses facettes importantes de la qualité, sans toutefois déboucher sur une définition vraiment complète et concrète. Cette première période de la recherche d’une définition de la qualité est caractérisée par le primat de l’équivalence voulant que les décisions du traducteur soient basées sur l’analyse approfondie du texte source et que la traduction reflète l’original le plus fidèlement possible.
Avec Nida (1964), le point de vue du lecteur entre en jeu : selon cet auteur, une bonne traduction doit reproduire le dynamisme complet de la communication. Il évoque les critères suivants de la qualité : l’efficacité de la communication (maximiser la compréhension en minimisant l’effort du lecteur), la compréhension de l’intention initiale (reproduire fidèlement le message de l’auteur) et l’identité de la réponse suscitée par le texte. Dans l’ouvrage commun de Nida et Taber (1969), les trois critères de définition de la qualité évoqués sont la fidélité au texte source, l’intelligibilité ainsi que le degré d’implication du lecteur. Il faut donc produire une traduction qui rende le message de l’original, et ce, dans un style impeccable et qui accroche le lecteur. Les auteurs proposent de nombreuses méthodes objectives pour mesurer la qualité d’une traduction : le test de closure, l’analyse des réactions aux différentes versions d’un texte, la facilité de résumer un texte traduit, les corrections intuitives lors de la lecture de la traduction à haute voix, etc. Bon nombre d’autres recherches décrivent des méthodes visant à mesurer objectivement la qualité, notamment par l’évaluation des textes traduits par l’homme et par la machine.
La notion de base de l’approche fonctionnelle est le scopos1, c’est-à-dire la fonction de la traduction. Selon cette approche, les décisions du traducteur devraient dépendre du type de texte à traduire et de la connaissance approfondie du lecteur et de la culture cible, et ce, afin de préserver la fonction initiale du texte en l’adaptant le plus possible. Selon l’approche fonctionnelle, la fonction du texte prévaut sur le texte source strictement dit : l’essentiel est de déclencher la même réaction chez le lecteur de la traduction que chez le lecteur du texte original. Si l’on traduit par exemple un poème, la forme et la musicalité deviennent plus importantes que le contenu, car le lecteur cible doit vivre la même expérience artistique que le lecteur de l’original, même si pour ce faire il faut transformer la signification.
L’approche économique tente de saisir la notion de la qualité en plaçant le processus de la traduction dans son contexte économique. Ainsi, la qualité d’une traduction peut être mesurée en fonction du temps consacré à sa révision. Et si l’on va plus loin : on peut dire qu’il faut tout simplement savoir déterminer la qualité « souhaitée » ou optimale d’une traduction en tenant compte de l’efficacité du processus. La qualité souhaitée ou « minimale » se détermine en fonction du temps et de l’argent accordés à un projet de traduction, de l’usage auquel le texte est destiné, du public et de nombreux autres facteurs déterminant le contexte de la traduction. Il faut donc apprendre à ne pas toujours vouloir faire un travail parfait et à se contenter d’une qualité minimale qui – par contre – correspond parfaitement aux attentes, souvent exprimées tacitement par les circonstances (rémunération, délai, etc.).
Pour mieux connaître les pratiques du marché, nous avons mené une enquête par questionnaire à laquelle ont participé 28 entreprises de traduction en Europe et en Amérique. Le nombre des participants étant peu élevé, on ne peut en tirer de conclusions générales, mais les réponses permettent quand même de se faire une image de la pratique en ce qui a trait à l’assurance de la qualité. Ici, nous nous contenterons d’évoquer deux questions : l’une porte sur les critères principaux employés lors de l’évaluation les traductions, l’autre sur les méthodes de vérification de la qualité les plus employées par les participants.
Pour examiner les critères employés par les entreprises pour évaluer la qualité, nous avons demandé aux participants de classer les différents facteurs principaux d’évaluation de la qualité par ordre d’importance. Les critères définis étaient les suivants : équivalence du contenu, utilisation correcte de la langue et de la grammaire, création d’un texte qui se lit comme un texte en langue cible, équivalence du formatage et cohérence de la terminologie.
Si l’on regarde le diagramme ci-dessous, on voit au premier coup d’œil que les réponses sont fort différentes. Selon la plupart des participants, soit 41 %, l’équivalence du contenu est le critère le plus important, mais les autres critères peuvent également se révéler primordiaux pour quelques répondants. Seul le formatage n’a jamais été choisi en premier. On constate que 56 % des entreprises classent l’usage correct de la langue au deuxième rang, la cohérence terminologique vient au troisième rang, tandis que le formatage est classé en dernier. Le style idiomatique du texte, que nous avons défini par le fait que la traduction doive se lire comme un original, est primordial aux yeux de 30 % des participants, mais le pourcentage des entreprises l’ayant relégué à la quatrième place est de 30 % également. Il est intéressant de constater que l’écart entre le nombre d’entreprises indiquant l’équivalence du contenu comme le critère le plus important et celles qui classent le style idiomatique au premier rang n’est que de 11 %, ce qui ne représente que trois entreprises.
Nous avons été étonnés de constater que l’usage correct de la langue n’a jamais été classé au dernier rang, bien qu’il existe des projets dans le cadre desquels il est explicitement demandé de ne pas passer trop de temps à réviser la grammaire et de corriger uniquement les fautes qui nuisent à la compréhension globale du texte, et ce, bien évidemment pour des raisons d’ordre financier et des contraintes de temps. Toutefois, il faut admettre que chaque projet, chaque traduction naît dans des circonstances différentes et que l’importance des critères peut varier d’un projet
à l’autre.
Pour terminer, nous évoquerons ici une autre question de l’enquête citée : nous avons demandé aux entreprises d’indiquer leurs outils et méthodes d’assurance de la qualité. La méthode la plus importante mentionnée est bien évidemment celle de la révision (avec ou sans relecture), mais – attention ! – tout de suite après viennent les aides intégrées aux outils d’aide à la traduction (TAO), comme les bases terminologiques et les mémoires de traduction ainsi que les modules d’assurance de la qualité intégrés à ces logiciels. Évidemment, il faut savoir bien les utiliser pour en tirer profit, mais la plupart des entreprises jugent que l’utilisation de ces outils est efficace pour assurer la bonne qualité de leur travail.
En guise de conclusion, nous pouvons donc envisager assez favorablement les outils d’aide à la traduction et les voir comme une ressource importante permettant d’assurer la qualité de notre travail, tout en précisant qu’ils ne peuvent pas remplacer le travail professionnel des réviseurs et relecteurs. Les outils de TAO permettent d’éviter certaines erreurs (à condition que les bases terminologiques et les mémoires de traduction soient à jour et bien entretenues) et de repérer des fautes qui peuvent être corrigées automatiquement, comme les fautes de frappe, les espaces doubles, les problèmes de cohérence terminologique, etc., mais l’intervention des professionnels de l’assurance de la qualité reste indispensable tout au long du processus.
1 Notion introduite par Vermeer (1978).
Anna Mohácsi-Gorove enseigne à l’Université Eötvös Loránd de Budapest. Elle rédige présentement sa thèse de doctorat sur l’assurance de la qualité et la révision en tant que clé de ce processus. Elle est également traductrice indépendante et formatrice en TAO.
Sources
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