Betty Cohen, aujourd’hui responsable des services de traduction chez PricewaterhouseCoopers, a en réalité deux parcours parallèles. L’un professionnel et l’autre associatif. Chacun de ces parcours a des ramifications. Le tout tend vers une seule direction : la traduction. Traductrice, réviseure, terminologue, chargée de cours dans trois universités, vice-présidente du CTIC, membre du conseil puis présidente de la FIT, de la STQ et de l’OTTIAQ. Aujourd’hui, après
avoir contribué pendant 20 ans à la bonne marche du magazine Circuit, Betty Cohen passe
le flambeau.
Quand elle entre dans les locaux de l’OTTIAQ, Betty Cohen se sent comme chez elle. Elle a le pas dynamique et le regard pétillant, rempli de cette passion débordante qui la garde encore et toujours au service du métier de traducteur.
L’amour de Betty pour les langues naît à l’âge 15 ans, quand elle commence à apprendre l'anglais et l'espagnol au lycée français, au Maroc. Pourtant, ses parents et son entourage, plutôt portés vers les sciences, ne l’encouragent pas à aller dans cette voie. Elle doit poursuivre un cursus plus « noble », plus matheux. Elle choisit l’économie. Quand la famille s’installe au Canada et que Betty va au cégep, ses enseignants décèlent vite son don pour les langues et la poussent à se diriger vers des études universitaires de traduction. C’est le début d’une vie qui sera presque entièrement consacrée à sa profession de traductrice.
Le parcours professionnel de Betty tourne autour de deux pôles. Le premier, c’est la traduction-révision-terminologie, le métier à proprement parler. Elle y doit son succès, dit-elle, à la chance et au hasard. Parce qu'elle faisait partie d'une des dernières promotions de l'âge d'or de la profession, qui ont été placées avant même de sortir de l'université. C'est ainsi qu'elle a tour à tour travaillé dans les services de traduction de diverses entreprises et à son compte, jusqu'à son poste actuel chez PricewaterhouseCoopers, où elle est responsable des services de traduction. Ce cheminement, elle le résume vite et le décrit comme « relativement normal » ; il a toutefois été le pivot de tous ses autres parcours.
Le deuxième pôle, c'est l'enseignement. Elle y accède « par hasard » quand, après qu’elle eut reçu sa maîtrise, son directeur de mémoire lui demande de prendre au pied levé la relève de son cours à l'Université de Montréal. Elle dit oui. Quelques jours plus tard, il lui propose un autre cours... et elle dit encore oui. Elle démissionne de son emploi d’alors et s’établit à son compte. Puis elle accepte d'autres charges d’enseignement
à McGill, puis à Concordia. C'est ainsi que, du jour au lendemain, elle s'est jetée dans ce qu'elle a toujours aimé faire : transmettre la connaissance.
Beaucoup se seraient contentés de cette vie bien remplie, entre la traduction et l'enseignement, mais pas Betty. Si elle aime son métier et qu’il la satisfait, si elle aime la tournure qu’il a prise – car elle est plutôt dans la gestion aujourd’hui, tout en appréciant ce qu’elle appelle « re-rentrer dans ses pantoufles quand elle fait de la traduction-révision » –, elle avoue qu’elle a eu besoin d’autres activités pour stimuler sa carrière et la motiver.
Son parcours associatif est en fait une vie parallèle à celle de son gagne-pain, une deuxième vie qui lui a permis de ne jamais s’ennuyer. Là encore, elle affirme que ce qui l’a amenée à s’investir dans les associations de traducteurs, puis dans le combat pour la reconnaissance professionnelle, c’est le hasard, toujours le hasard. Au départ, un ami lui a demandé de l'aide dans un comité de la Société des traducteurs du Québec (STQ) ; elle
a répondu présente et s'y est engagée à long terme. De fil en aiguille, son engagement s'est accentué, intensifié. Acceptant tous les mandats qu'on lui proposait, elle a fait partie du conseil, puis du bureau ; elle a été vice-présidente, puis présidente. Sa devise : « Je suis là, il y a quelque chose
à faire, je sais le faire, je peux le faire, voilà j'y vais. » Et c'est avec la même passion qu'elle s'est lancée dans les efforts pour la reconnaissance professionnelle. Elle avait des idées, on lui a demandé de les mettre en œuvre, elle a foncé. Elle a fait partie de l'équipe qui a présenté le mémoire de la STQ à l'Office des professions du Québec. Thomas Mulcair, alors président de l’Office, a débloqué le dossier au moment où elle était présidente de la STQ. C'est ainsi qu'elle s'est retrouvée première présidente de l'OTTIAQ.
Aujourd’hui encore, elle travaille activement pour la réserve d’actes. En effet, quand il a fallu s’y atteler, elle était prête. Elle en a fait son cheval
de bataille, parce que, selon elle, l’Ordre manque d’armes, et l’une de celles qu’on peut lui donner, c’est de réserver certains actes. Betty fait partie de ceux qui se battent pour que les vrais traducteurs, membres de l’Ordre ou pas, puissent se réunir et montrer la valeur de ce qu’ils font, dans un marché où, dit-elle, il y a un peu tout et n’importe quoi.
Quant à Circuit, il est selon elle l’outil essentiel de l'OTTIAQ, car tout ordre professionnel et toute association se doivent de communiquer avec leurs membres au moyen d’un magazine, pour les mettre au courant de ce qui s’y passe, et aussi pour la formation continue. Betty a commencé à y écrire pour préserver sa créativité et garder sa plume active. Elle s’est rendu compte, dès ses débuts dans la traduction, qu’elle devait continuer à rédiger, car à force de transposer les idées des autres, elle risquait de perdre les siennes.
Malgré toutes ces activités, Betty Cohen ne se sent pas débordée. Dans une de ses journées types, où elle mène de front plusieurs activités, elle clame avec humour qu'elle fait… une chose à la fois !
Car tout tourne autour de la profession. Le gagne-pain bien sûr, puis les associations de la profession : la STQ puis l'OTTIAQ, le Conseil des traducteurs et interprètes du Canada (CTIC), la Fédération internationale des traducteurs (FIT), le magazine Circuit, ainsi que l’enseignement de
la traduction. Elle a mené tout cela de front, car elle se serait tout bonnement ennuyée en menant seulement une carrière de traductrice-réviseure. C’est d’ailleurs à toutes ces activités bénévoles qu’elle doit son poste actuel de gestionnaire et de responsable des services linguistiques chez PricewaterhouseCoopers, car elles lui ont permis d'apprendre à gérer et à motiver des équipes de bénévoles comme celle de Circuit, et aussi comme à la FIT, où elle devait composer avec seize personnes provenant de cultures différentes.
Elle réussit même à inclure dans ses journées-marathons des lectures de magazines et de journaux, surtout économiques, pour se tenir à jour
dans son domaine, qui est toujours lié à l'actualité, et parce qu’elle est une « bouffeuse d'infos ». Ses week-ends sont quand même consacrés
à la détente et à la lecture, avec quelques sorties de théâtre, de cinéma, de dégustation de vin.
Malgré ce parcours impressionnant, Betty Cohen reste modeste et affirme qu'elle a toujours travaillé en équipe, et que ceux qui œuvrent dans l'ombre ont autant de mérite qu'elle dans tout ce qu'elle a accompli pour la reconnaissance professionnelle. Elle aimerait que les jeunes profitent
de son expérience dans le domaine. Elle voudrait leur expliquer qu’il existe deux sortes de traduction : la traduction de masse, qui peut se faire
à coups de mémoires de traduction, et la traduction spécialisée, qui exige une formation, une volonté d’apprendre, une ouverture d’esprit, et surtout le courage de lâcher l’outil.
En fait, le conseil important qu'elle voudrait donner aux nouveaux traducteurs aujourd’hui, c’est de ne pas perdre leur capacité de traduire, car la machine, c’est une béquille. Et la béquille, on s’y habitue… Et quand on s’habitue à être soutenu, les jambes fléchissent !
Ce qu'elle aimerait dire aux traducteurs, jeunes et moins jeunes, c'est qu'aujourd’hui, ce ne sont pas les traducteurs qui ont pris le marché de la traduction, ce sont les gens d’affaires. Il faut absolument que les traducteurs se réapproprient leur profession. Ce sont eux qui comprennent leur métier, ce sont eux qui savent où il commence et où il s'arrête ; c'est donc à eux de le prendre en main. Cela veut dire qu'il faut sortir de son
bureau, sortir de son sous-sol et se regrouper, car l’union fait la force.